samedi, avril 17, 2010

Homeless (2)

Je n'ai pas tout de suite tapoté pour casser le mythe de l'insomnie inspiratrice. Il est vrai que je me suis écroulée comme un vieux sac à merde incapable de finir sa bière. Mais c'était pour donner le temps à mes idées de fermenter pendant le sommeil, ce n'est que stratégique. Et au réveil, je continuais dans ma tête le concept de "homeless".

Ce n'est pas vraiment en fin de soirée que je me sens sans attache. Après tout, arrivée à un certain âge, je ne peux plus résister aux appels de mon lit. C'est physique, je pense. Moi, c'est en sortant. En quittant ce que j'appelle mon trou à rat où rien ne me ressemble. Ce débarras de choses à moi. Ce cache-valise. Ce lit qui ne bougera pas tant que je paie mon loyer. Quelle que soit la haine que je lui porte, le moment de franchir le seuil est fatidique. Je ne sais jamais ce que je dois emporter avec moi, ce que je dois laisser pourrir ici. Tu sais, le moment où tu mets tout dans ton fourre-tout, clés, portable, livre à lire dans le métro, deux lecteurs mp3 et trois écouteurs au cas où il y en ait un qui ne marche pas. Et puis tu prends plaisir, tu mets une seconde écharpe par ci, au cas où il commence à faire froid, un parapluie, au cas où il commence à pleuvoir même s'il a fait 18° toute la journée. Et là, tu regardes ta trousse à maquillage que tu n'utilises jamais, et tu te dis peut-être que j'aurais le temps dans le métro, en omettant que tu as déjà prévu de lire et d'écouter de la musique. Et pourquoi pas me faire les ongles tant que j'y suis. Et si je ne passe pas la nuit chez moi? Va pour un haut de pyjama, une paire de chaussettes et un slip, que tu remplaces aussitôt par un string car ça prend moins de place. Et au moment où tu choisis ta tenue du lendemain, tu as du mal à la faire rentrer et tu te dis qu'il te faut un sac plus gros. Tu enlèves le parapluie, avec un remord qui te démange et tu remets certaines lectures à plus tard. Et si je restais ici finalement?
Je ne reste pas "ici" finalement. Mais je vide mon sac dans une sorte d'hystérie, avec un fond de haine pour moi-même car je serai encore en retard. Et le lendemain, j'accours acheter un sac plus gros, mais aussitôt de nouvelles choses s'ajoutent à la liste, et il n'est jamais bien comme il faut. Il est de plus en plus lourd, et je finis par avoir le rhumatisme des pieds et des mains et du dos, et je me dis qu'elle a raison de gémir ma vieille mamie. Elle n'a que 80 ans, et son rhumatisme s'est révélé avec l'âge. Elle n'a pas eu à errer partout, une valise à la main, un sac sans fond. C'est physique encore, tu sais. Je vieillis.
Et en vidant le sac, je me vide avec. Je franchis la porte en n'emportant rien. Nada. Une sorte d'étagère vide qui veut bien être remplie. Je lis le livre que je trouve là-bas, j'écoute la musique de là-bas, je dors dans un t-shirt deux tailles plus grand, et le lendemain je remets les mêmes vêtements qu'hier. Et alors? Tu trouves que je pue?
Et petit à petit, plus rien ne me tient à coeur. Je laisse tout dans le trou à rat et je reviens le voir pourrir après le weekend. Et je regarde mon exubérance qui traîne sur une vieille photo avec les bords qui se plient, seule dans l'étagère, et je souris avec une petite ride au coin de mon imagination.
Ce n'est pas une fatalité. Mais je serai usée des allers-retours, et un jour je m'installerai peut-être de l'autre côté, en emportant la photo dans ma tête.